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A PROPOS DES FEMMES
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27 mars 2010

La société française et l'autorité

L’attitude         des Français face à l’autorité, au cours de leur         histoire, participe d’un double héritage         contradictoire : le culte de l’État et une          inclination à la contestation.

Après la commotion de 68,         comparable sur ce point à celle de 89, l’État a         peu à peu cessé de contrôler les conduites         personnelles, en même temps qu’un consensus         s’installait sur des règles constitutionnelles        instituant un pouvoir à la fois républicain et         monarchique.

Le développement de         nouvelles formes de violence marque cependant que la         réconciliation de la société française avec         l’autorité est loin d’être accomplie.

La notion d’autorité est     très ancienne. L’étymologie l’atteste : le mot     qui nous vient du latin, auctoritas, témoigne que le concept     existait déjà dans l’Antiquité. L’idée et le     mot nous ont été légués par Rome avec la notion     d’État. Mais, si le concept a pris dans la tradition     juridique romaine un sens précis et un contenu spécifique,     la chose et l’idée ne sont pas propres à Rome. Avant     d’être une notion, l’autorité a été une     réalité, un fait social dans toutes les sociétés.     C’est une donnée apparemment universelle.

Elle répond à la conviction     – fondée ou non, c’est une question et on y     reviendra – qu’aucun groupement humain, si petit     qu’il soit, de la famille à la société la plus vaste     et la plus complexe, ne peut se passer d’autorité :     elle est indispensable pour maintenir la cohésion du groupe,     pour imposer aux volontés individuelles le respect d’un     intérêt présumé supérieur ; autrement ce serait la     dissolution du groupe, la perte de la liberté collective,     dès lors assujettie à une domination extérieure.     L’admission de l’autorité comme une nécessité,     un impératif catégorique, s’accompagne – est-ce     inévitable ? C’est une deuxième question –     d’un autre postulat : l’autorité, ne pouvant être     le fait de tous, implique un partage et une séparation     tranchée entre un petit nombre appelé à détenir     l’autorité et à l’exercer et tous les autres,     voués à l’obéissance, sauf à être rejetés par le     groupe. Aussi la notion d’autorité est-elle     ordinairement associée à celle de hiérarchie et     d’inégalité : il en est pour commander et     d’autres dont le lot est d’obéir. Dans ces    conditions, comment s’étonner que la notion     d’autorité ne fasse pas naturellement bon ménage avec     les valeurs proclamées et instaurées par la démocratie et     qu’elle inspire aux démocrates moins de sympathie que     de répugnance et d’inquiétude ?

L’idée même     d’autorité, avec pour conséquence qu’une     minorité doive l’exercer dans l’intérêt du     groupe et subsidiairement aussi de celui des individus qui le     composent, n’est pourtant pas nécessairement en     contradiction avec la conception et la pratique de la     démocratie. Les détenteurs de l’autorité peuvent ne     pas être toujours les mêmes : s’ils se renouvellent à     des rythmes rapprochés, surtout s’ils tiennent leur     pouvoir du choix par tous, si donc ils l’exercent par     délégation, l’autorité trouve son fondement et son     principe dans la référence à la démocratie. Sur ce point     aussi il faudra revenir à la lumière de l’expérience.

Mais il est vrai – et     c’est ce qui explique une défiance tenace des     démocrates pour l’idée d’autorité –     qu’elle a été traditionnellement associée à une     vision élitiste de la société. Surtout, elle dérivait     d’une interprétation religieuse qui conférait à toute     autorité une légitimité indiscutable. Selon l’adage     " Omnis potestas a Deo ", quiconque détenait une     parcelle d’autorité la tenait directement de Dieu ; il     l’exerçait donc par délégation. Cette relation de     toute autorité à une origine religieuse ne garantissait pas     que toute décision était conforme à la volonté divine,     mais il n’appartenait pas aux inférieurs, aux     subordonnés, de la contester ni de douter de sa sagesse. Si     le comportement des autorités contrevenait à la morale,     c’était une affaire entre leur conscience et Dieu :     cette délégation ne les affranchissait pas de leurs devoirs     ; au contraire, elle aggravait leur responsabilité, mais le     devoir des sujets était de respecter l’autorité en     raison de son origine et de l’honorer et de lui obéir.      Cette obligation valait aussi bien pour les enfants, qui     devaient témoigner à leurs parents respect et obéissance     même si ceux-ci méconnaissaient leur devoir, que pour les     sujets et, d’une façon générale, pour tout inférieur     soumis à l’autorité de supérieurs. Tel était en     particulier le système qui régissait les rapports dans la     France d’Ancien Régime. C’est par réaction contre     cet ensemble de principes et en rupture avec les     comportements et les pratiques qui en découlaient que     s’est constituée la société moderne, remettant en     question la notion même et l’exercice de     l’autorité.

Car, s’il est vrai que la     notion d’autorité est bien une notion universelle, elle     a connu toute sorte de variations à travers les âges, en     fonction de l’évolution des esprits, et sur le noyau     commun se sont greffées presque autant de variantes que de     peuples. Dans son rapport à l’autorité, chaque peuple     a une tradition propre, qui s’est constituée au cours     de son histoire. C’est à inventorier les composantes     principales de cet héritage et à rappeler corrélativement     les principales expériences de notre pays et les changements     qui en ont résulté que seront consacrées les pages     suivantes.

Un héritage contradictoire

La notion d’autorité et,     par voie de conséquence, les attitudes des Français à son     endroit restent aujourd’hui encore profondément     marquées par le passé, en des sens contradictoires. Les     bouleversements des deux derniers siècles depuis la     Révolution de 1789 n’ont pas tout effacé des habitudes    antérieures, en particulier des siècles de monarchie     absolue et administrative : nous gardons dans notre pensée,     comme dans nos comportements, quelque chose de     l’héritage. La ferveur qu’inspirait la personne du     souverain s’est reportée sur l’État. C’est     la conséquence du rôle historique tout à fait original     joué par l’État dans la formation de la nation ; le     fait que la France soit, avec l’Angleterre, le plus     vieil État d’Europe n’est pas indifférent.    L’État, parce qu’il s’identifie à la nation     plus qu’ailleurs, continue à inspirer une révérence     exceptionnelle. On s’étonne parfois de la     reconstitution autour du chef de l’État d’un     phénomène de Cour, qui n’est pas sans rappeler la     Monarchie de Versailles ; mais, outre que c’est un trait     constant de la nature humaine sous tous les régimes,     c’est probablement la résurgence de vieilles habitudes     qui n’avaient jamais tout à fait disparu.

Mais un autre trait, de sens     contraire, a concouru simultanément à l’originalité     du caractère national : un tempérament frondeur, une     inclination à contester toute décision prise par     l’autorité, une propension à tenir tête au pouvoir     central, qui ont suscité au long des siècles une     interminable succession de révoltes, de jacqueries,     d’insurrections urbaines, de mouvements antifiscaux. La     défense des libertés locales a inspiré la résistance des     villes et des États provinciaux à l’action des     intendants qui s’évertuaient à faire appliquer les     ordonnances royales, aussi bien que les insurrections de la     Capitale prompte à dresser des barricades au temps     d’Étienne Marcel, de la Ligue ou de la Fronde. Cette     revendication d’indépendance s’exerçait aussi     bien contre l’autorité religieuse que contre     l’autorité politique, contre l’Église comme     contre la Couronne : le catholicisme, en France, s’est     toujours distingué par une nuance d’anticléricalisme     plus prononcée qu’ailleurs, qui était moins opposition     à l’Église que refus de se soumettre à     l’autorité des clercs en d’autres domaines que la     foi ou la morale.

Les événements de la     Révolution sont le triomphe de la liberté sur le pouvoir     absolu et du même coup la défaite, au moins provisoire, de     l’autorité. Toute l’œuvre de réorganisation     de la société et pas seulement dans l’ordre politique      s’opère, dans un premier temps, sous le signe de la     liberté et aux dépens de l’autorité : dans la     famille, le couple, le métier. L’autorité est atteinte     dans ses fondements traditionnels ; elle est dépouillée de     sa légitimité sacrale ; est récusée sa référence     religieuse. Au principe de légitimité par une délégation     de Dieu s’en substitue un autre, en relation directe     avec le transfert de souveraineté : il n’est plus     désormais d’autre légitimité que celle conférée par     le choix libre du peuple souverain par l’élection : le     sacre est remplacé par la délégation temporaire, toujours     précaire, par le corps électoral.

Mais, de ce grand mouvement     qui était dirigé initialement contre elle sous toutes ses     formes, l’autorité par un retournement imprévisible     est sortie renforcée. Désormais détachée de ses sources     religieuses, libérée de l’hypothèque que faisait     peser sur elle la référence à une vision théologique     répudiée par l’esprit du siècle, l’autorité     puise une légitimité nouvelle dans son origine     démocratique : puisqu’elle procède du peuple     souverain, qu’elle s’exerce en son nom et dans son     intérêt présumé, elle s’impose avec une force qui ne     rencontre plus de résistance, ni ne connaît de limites. Ce     n’est pas un hasard ni un paradoxe si la période de la     Révolution a connu le gouvernement le plus autoritaire de     notre Histoire, avec le Comité de Salut public. L’État     étant dorénavant l’expression du peuple souverain, lui     désobéir c’est se rebeller contre celui-ci ;     c’est le pendant du crime de lèse-majesté. La     réorganisation du pouvoir par Bonaparte consacre la     restauration de l’autorité en politique et les régimes     qui lui succéderont s’attacheront tous, même sous des     inspirations diverses et parfois contraires, à préserver     l’autorité.

Parallèlement, la     reconstruction de la société sous le Consulat rétablit     l’autorité dans la société aussi ; le code Napoléon     rétablit l’autorité du mari sur sa femme, des parents     sur les enfants. Partout prévaut le principe     d’autorité. Si l’autorité reste un sujet de     controverse, si les familles politiques se divisent à son     propos, leurs différends ne portent pas tant sur sa     nécessité, que presque aucune école de pensée ne discute     dans son essence, que sur ses fondements religieux ou     philosophiques, son origine, ses implications. Pour la     droite, l’autorité garde un caractère sacré : elle     trouve son principe en Dieu. En contester le principe, en     ébranler le prestige, c’est se révolter contre la     Providence, c’est porter atteinte au plan de Dieu. Pour     la gauche, l’autorité est l’expression de la     volonté démocratique : elle n’est donc pas     incompatible avec la liberté. Pour les conservateurs,     l’autorité se justifie par elle-même. Pour les     libéraux, l’autorité n’est respectable que si     elle agit en conformité avec les principes de la démocratie     et les valeurs qu’elle professe. Pour les premiers,     l’autorité est une valeur absolue ; pour les seconds,     sa valeur est relative tant à ses origines qu’à ses     effets. Dans le système de l’intransigeantisme    catholique, qui s’est constitué en partie par réaction     contre l’affirmation des Droits de l’Homme et qui     est au XIXe siècle l’expression majoritaire et seule     autorisée par le magistère de la pensée de l’Église     sur la société, l’autorité fait partie des valeurs     respectées au même titre que l’ordre ou la hiérarchie     ; elle appelle obéissance et discipline. Le culte de     l’autorité s’étend au domaine des idées et à     leur transmission : il s’oppose à l’esprit     critique, au libre examen dénoncé comme esprit     d’insoumission et de révolte contre la vérité aussi     bien que contre l’ordre. L’école d’Action     française, qui traduit en politique ce système de     croyances, oppose l’autorité bienfaisante à     l’anarchie, dont elle dénonce les funestes effets dans     la conduite des sociétés. La gauche, libérale ou radicale,     lui oppose, en particulier dans la crise qui éclate à     l’occasion du procès Dreyfus, les droits de la raison     critique.

Par la suite surviendra un     armistice et s’établira un modus vivendi ; avec le     temps et la pratique de la démocratie, une manière de     compromis s’instaure entre liberté et autorité, sur     lequel vivra la IIIe République jusqu’à la Seconde    Guerre mondiale. L’épreuve de la défaite de 1940 aura     des conséquences sur le rapport entre l’opinion et la     notion d’autorité. En effet, la Révolution nationale,     pensant tirer les leçons du désastre, dénonce les méfaits     du courant de pensée qui contestait le principe     d’autorité, entend en prendre le contre-pied et remet     en honneur le culte de l’autorité. Désormais, celle-ci     s’exerce de haut en bas, sans référence à     l’origine populaire. Le maréchal Pétain exige de tous     les Français une obéissance inconditionnelle, aveugle :     " Désormais, je vous tiens le langage d’un chef ;     c’est lui que l’Histoire jugera. " Ce qui     implique que les contemporains n’ont pas à se faire     juges. Cette exigence invoque les circonstances et le     caractère exceptionnel de l’institution, qui ne se     prête certes guère à la discussion ou à la     délibération, mais elle se réfère tout autant à un     système de pensée qui met l’autorité au centre de la     vie politique et en tête des valeurs honorées. Or,     l’expérience est un naufrage : à mesure que la guerre     se prolonge, que la politique se radicalise, de plus en plus     de Français sont conduits à se faire une opinion     personnelle, à juger par eux-mêmes, à considérer que     toute décision de l’autorité n’est pas ipso facto     légitime. Telle est la signification de l’initiative     prise par Charles de Gaulle quand il décide de ne pas tenir     pour légitime l’armistice signé par un gouvernement     qui a pour lui les apparences de la légalité : sa     rébellion introduit dans l’espace politique la     distinction entre légalité et légitimité. De ce geste     date un nouveau chapitre dans les relations entre     l’autorité et l’esprit public. L’exemple fera     tache d’huile : les fonctionnaires, même ceux     qu’on appelle fonctionnaires d’autorité, les     simples citoyens, sont conduits par un impératif de     conscience à désobéir aux ordres du gouvernement.     L’Église même, qui faisait traditionnellement aux     fidèles un devoir d’obéir au gouvernement établi et     de l’obéissance une vertu, est amenée à les en     délier. À l’occasion de la loi instituant le Service     du travail obligatoire en 1943, consulté par les jeunes     chrétiens, ouvriers, paysans, étudiants de son diocèse, le     cardinal Liénart, évêque de Lille, répond qu’ils ne     sont pas tenus en conscience d’obtempérer à la loi qui     les contraint à partir en Allemagne travailler pour     l’ennemi : ainsi l’autorité religieuse     reconnaît-elle le devoir de désobéissance.     L’autorité n’est plus sacrée : elle n’est     pas toujours justifiée. Dans le même temps, en sens     inverse, la solidarité trop longtemps affirmée d’une     grande partie de l’épiscopat avec le gouvernement de     Vichy a conduit nombre de catholiques, clercs et laïques, à     passer outre aux consignes de la hiérarchie, pour se faire     juges de leur devoir. C’est de ce temps que date,     probablement, la première fêlure dans la longue tradition     d’obéissance qui faisait des catholiques la communauté     la plus soudée et la plus cohérente de la société     française.

L’ébranlement de la     notion et des habitudes d’autorité se prolongera     au-delà de l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale :     le débat rebondira à chacune des crises nationales que     traversera la France après 1945. Ainsi, lors de la guerre     d’Algérie, si une partie de ceux qui s’opposèrent     à la politique du général de Gaulle sur le sujet et     essayèrent de toutes leurs forces de faire obstruction à la     marche vers l’indépendance le fit par antigaullisme et     nostalgie de la Révolution nationale, d’autres ont     retenu la leçon du 18 Juin et pensé agir par fidélité à      l’exemple donné par lui.

La commotion de 68

L’autorité a connu une     nouvelle épreuve avec le mouvement de 1968, dont     l’inspiration fondamentale était essentiellement de     contestation de l’autorité, sous toutes ses formes et     dans toutes ses expressions. Contestation du savoir acquis et     de ses modes de transmission traditionnels dans     l’institution universitaire, auxquels on oppose la     maxime " Tous enseignants, tous enseignés ", qui     récuse toute distinction et nie l’autorité de la     compétence scientifique. Puis, par extensions successives,     rejet de toute autorité, des juges, de la loi, de toute      administration, des gouvernements, des patrons dans     l’entreprise, des chefs dans l’armée. La     récusation de l’autorité s’étend même aux     systèmes philosophiques qui avaient jusque-là inspiré les     mouvements révolutionnaires et aux appareils qui les    traduisent dans l’action politique ; c’est le sens     de la dénonciation, par les contestataires de 1968, du parti     communiste, de l’expérience soviétique, du stalinisme     stigmatisé comme un révisionnisme bureaucratique. Jamais     les pensées utopiques qui récusent toute référence à la     nature des choses, aux contraintes de la réalité, aux lois     de l’économie, à la permanence de la nature humaine     n’ont été à pareille fête. À quoi bon une autorité     ? On s’imagine que la connaissance progressera par la     mise en commun des questions de chacun ; de     l’accumulation des ignorances sortira un savoir nouveau.     En économie, pas besoin de dirigeants : c’est le    succès de l’idée d’autogestion, dont     l’aventure de Lip écrira le chapitre le plus attachant.     Dans sa radicalité, le mouvement de 1968 s’en prend à     toute institution soupçonnée d’exercer une pression      autoritaire sur les individus. Le concept de pouvoir connaît     alors un usage illimité : on voit partout du pouvoir et on     le dénonce ; pouvoir dans la famille exercé par les parents     sur les enfants, pouvoir des enseignants sur les élèves et     les étudiants, pouvoir des juges. On rêve de fonder la     société de demain sur l’abolition de l’autorité.     Jean Boissonnat a justement, selon moi, parlé de deuxième     révolution individualiste à propos de l’esprit qui     triomphe alors, la première étant celle de 1789. De fait,     même après que le fleuve sera rentré dans son lit et     qu’aura été rétabli le minimum d’autorité     indispensable au fonctionnement de la société et aux     rapports entre les individus, il est resté quelque chose de     la commotion de 68 ; on a beaucoup dit depuis qu’on ne     pouvait plus gouverner ni diriger une entreprise, ni     commander des hommes, ni juger tout à fait comme avant. À     cet égard, dans l’histoire des rapports entre     l’opinion et l’autorité, 68 a inauguré une ère     nouvelle, comme avait fait naguère la Révolution de 1789.

De cette aspiration des     individus à l’autonomie, de la revendication de     décider par soi-même en dehors de toute règle imposée par     une autorité supérieure, les effets se font sentir dans     tous les domaines de l’existence, y compris la cellule     familiale. À vrai dire, le mouvement n’avait pas     attendu la secousse de Mai 1968 : à l’initiative des     gouvernements de la Ve République, le législateur avait     commencé de modifier substantiellement le droit concernant     les rapports entre époux et les relations entre parents et     enfants. La femme n’était plus l’éternelle     mineure définie par le code civil, qui la faisait passer de     la dépendance du père à celle du mari. L’autorité     maritale – notez le terme qui implique référence à     l’autorité du mari sur sa femme jusque-là – est     supprimée. L’autorité parentale est désormais     partagée à égalité entre le père et la mère : la notion     de chef de famille, qui était un monopole masculin,     disparaît. En 1985 est instituée l’égalité des     époux dans la gestion des biens des enfants mineurs.

Vers une réconciliation ?

Plus significatif encore est     le retrait de l’État de la réglementation et du     contrôle des conduites personnelles. Traditionnellement,     même dans une conception héritée de 1789, l’État     était responsable des bonnes mœurs, garant de     l’ordre juridique et de l’ordre moral, les deux ne     faisant qu’un et le premier décalquant dans les codes     civil et pénal les impératifs moraux. L’État     n’était pas neutre, et l’on ne concevait pas     qu’il pût le demeurer en ces matières : il défendait     l’indissolubilité du mariage, veillait à la fidélité     conjugale et sanctionnait les infractions ; il poursuivait     l’adultère, punissait les mœurs réputées contre     nature et contre la morale, infligeait un statut inférieur     aux enfants nés hors mariage, a fortiori adultérins, qui     expiaient toute leur vie la faute de leurs parents.     C’était autant d’interventions de l’autorité     dans la vie privée, contrôlant les conduites individuelles.

Depuis une trentaine     d’années, cette conception est battue en brèche et la     puissance publique a manifestement renoncé à réglementer     les comportements et plus encore à sanctionner ce qui était     jadis considéré comme déviations ou aberrations. En     autorisant en 1967 la contraception, en légalisant en 1975     l’interruption volontaire de grossesse, en donnant son     aval aux procréations médicalement assistées, l’État     a accepté la dissociation entre la sexualité et la     transmission de la vie. Une loi de 1979 a effacé les     discriminations entre filiation légitime et filiation     adultérine et abrogé les inégalités qui en résultaient.     La notion de famille, auparavant réservée aux seuls couples     régulièrement unis devant un officier d’état civil et     ayant des enfants, englobe aujourd’hui les familles     dites monoparentales. Les différences entre couples mariés     et concubins tend à s’effacer de plus en plus. On     envisage l’institution d’un contrat d’union     civile ou sociale dont pourraient bénéficier tous ceux qui     vivent à deux, quelle que soit leur relation, et qui leur     accorderait la plupart des avantages dont bénéficiaient les     seuls couples reconnus légalement. C’est dire que     l’autorité a cessé d’intervenir dans     l’organisation de la vie privée. Il est remarquable que     ces bouleversements ont été le fait de majorités autant de     droite que de gauche : quelques-unes des dispositions les     plus révolutionnaires et les plus grosses de conséquences     ont été adoptées sous la présidence du général de     Gaulle par des assemblées de droite. Signe d’un large     consensus pour réduire le champ d’intervention de     l’autorité.

Conclure de ces tendances et     de ces innovations que la société s’achemine vers la     disparition de toute autorité serait ne pas tenir compte     d’autres orientations, en particulier dans l’ordre     politique. L’avènement de la Ve République marque en     effet une tendance en sens contraire, au renforcement de     l’autorité : l’instauration d’une fonction     présidentielle, appelée dans l’esprit des fondateurs     à être le principal pouvoir, l’affaiblissement de la     représentation nationale, l’exténuation de la     délibération parlementaire s’inscrivent dans un     mouvement de caractère autoritaire. On a pu, non sans     raison, définir le régime établi par la Constitution de     1958 comme une monarchie républicaine : républicaine parce     que tous les pouvoirs, y compris celui du président de la     République, sont désignés directement par le suffrage     démocratique, mais monarchie aussi, car le pouvoir dispose     d’une grande autorité. Or cette mutation a été bien     acceptée par les citoyens : non seulement ils avaient     approuvé en son temps à 80 % le projet qui leur était     soumis, mais, depuis, l’adhésion aux institutions     n’a fait que se renforcer ; les neuf dixièmes de nos      concitoyens sont attachés à ce qu’il y ait à la tête     de l’État un pouvoir fort. L’autorité n’est     plus rejetée systématiquement ni synonyme de réaction     contraire à la liberté : l’opinion a pris conscience     qu’il n’y avait pas incompatibilité entre la     démocratie et l’autorité. Davantage, même : la     liberté a besoin d’autorité, l’autorité est une     condition pour le bon fonctionnement de toute société.

Cette révolution des esprits     se manifeste d’une autre façon : nous venons de prendre     acte de l’adhésion de la très grande majorité à la     Constitution ; cela aussi est un fait relativement neuf.     Traditionnelle-ment, des fractions non négligeables de     l’opinion contestaient la loi fondamentale et militaient     pour le renversement du régime. Il n’en est plus ainsi     aujourd’hui : si ceux qui préconisent des modifications     sont nombreux, il ne s’agit généralement que     d’une toilette du texte, destinée à rendre la     Constitution plus performante et à l’adapter à des     conditions changeantes, non pas de la subvertir ou de lui en     substituer une autre d’inspiration différente. Signe     que l’opinion a pris conscience de la nécessité     d’une règle à laquelle on fasse référence.     C’est encore une forme de l’autorité, que la     règle acceptée et reconnue. Assurément, la règle     n’est acceptée que si elle a été librement débattue,     instaurée dans des conditions qui fondent sa légitimité et     si son application est conforme aux intentions qui ont     présidé à son établissement. Ce changement profond     inaugure sans doute un nouveau chapitre de l’histoire     des relations entre la société française et la notion     d’autorité.

Est-ce à dire que la     réconciliation avec l’autorité soit aujourd’hui     accomplie et unanime ? Le soutenir serait être aveugle aux     désordres qui troublent l’ordre social. Des secteurs     entiers dans nos agglomérations constituent des zones de      non-droit : c’est bien le refus de l’autorité.     Dans le même temps où l’on constate un apaisement des     querelles proprement politiques et des affrontements     idéologiques, on enregistre d’autres formes de     violence, à tel point qu’il a fallu forger un mot pour     qualifier cette sorte d’infractions : elles portent     atteinte à la civilité ; progrès de la violence verbale     dans les rapports individuels, en particulier entre élèves     dans les établissements scolaires. L’enseignement est     particulièrement touché par cette progression de la     violence. Le secteur qui devrait être le lieu par excellence     de l’apprentissage de la vie en société, de     l’acceptation d’une règle qui garantisse la paix     civile et la concorde entre les individus est devenu un lieu     de violence : la société y introduit tous ses conflits et     toutes ses tensions. Plus possible de tenir l’école en     dehors, d’en faire un sanctuaire préservé. Mais     comment alors en faire un lieu d’éducation civique qui     enseigne le respect d’une autorité consentie ? Cette     question ne concerne pas seulement les enseignants : elle est     posée à tous et de la réponse qui lui sera faite dépend     largement l’avenir de l’autorité dans notre     société et la survie d’une communauté de citoyens.

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