Les parents d'ados apprennent l'autorité
Tous les parents d’adolescents
ont fait l’expérience de se trouver, un jour, face à leur enfant qu’ils
ne reconnaissent plus. Il n’est définitivement plus le tendre petit dont
les talents les remplissaient de fierté et certainement pas un
jeune adulte prêt à voler de ses propres ailes. Face à ces créatures
mutantes, mal dans leur peau, insubordonnées et provocatrices que sont
les adolescents, les parents ont du mal à trouver le ton juste. Or, à
cet âge difficile, établir la bonne distance avec les ados permet de
préserver l’équilibre familial et d’aider les jeunes à se séparer pour
parvenir à l’âge adulte. Les parents font à ce moment-là un constat,
souvent déchirant : l’amour qu’ils éprouvent pour leurs enfants ne
suffit pas, il doit s’accompagner d’une autorité.
L’autorité
parentale s’apprend vraiment à l’adolescence, quand elle est mise à
l’épreuve. Les enfants, même difficiles, finissent, la plupart du temps,
par « écouter ». Tout change quand l’adolescent remet l’autorité en
question pour gagner en autonomie. « Avec ma fille de 13 ans, tout est
devenu compliqué, raconte Aude, 41 ans. Même des choses qui étaient
acquises, comme faire son lit ou ranger sa chambre, deviennent soudain
intolérables à ses yeux. On s’accroche sur tout : la façon dont elle
s’habille, le maquillage noir dont elle couvre ses yeux, les vingt-cinq
coups de fil qu’elle reçoit chaque soir ! » Aude raconte les âpres
discussions sur les horaires des sorties. Le téléphone qui sonne à 19 h
55 quand l’heure du retour était fixée à 20 heures : « Allô Maman, la
fête vient à peine de commencer, ma copine demande si je peux rester
avec elle jusqu’à 21 heures, mais comme ça après, on rentre ensemble
d’accord ? » La négociation qui reprend de plus belle : « Bon, vous
rentrez toutes deux mais à 20 h 30, pas plus ! » Aude confesse que «
déployer tant d’énergie pour gagner un quart d’heure, c’est épuisant ».
Et pourtant indispensable !
« L’autorité, c’est d’abord donner
des autorisations, avant de donner des interdits », rappelle Daniel
Marcelli, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au
CHU de Poitiers (1). Mais ensuite, « interdire, prendre des sanctions,
est difficile ! On voudrait que les jeunes obéissent sans avoir à payer
de notre personne. Or, l’obéissance n’est pas quelque chose de naturel,
c’est un fait culturel », estime-t-il.
"Tout est dans la
négociation de l’espace de liberté"
Même s’ils ont beaucoup à
apprendre et à reconquérir, la plupart des parents jettent les bases de
leur autorité dès le début, avec différents styles de régulation
familiale. Ainsi, en se posant la question de la télévision le soir dès
l’enfance, chaque famille peut découvrir son style. Dans les familles
strictes, à partir de 20 h 30, c’est fini pour les enfants, la règle
reste intangible. Dans les familles permissives, la télévision est dans
la chambre de l’enfant, ce qui permet d’éviter tout conflit, mais
l’expose à regarder ce qu’il veut à n’importe quelle heure. Dans les
autres cas, les enfants cessent de regarder la télévision à 20 h 30…
sauf exceptions. Mais ils s’ingénient à trouver des bonnes raisons pour
bénéficier d’une exception !
À l’adolescence, les conflits
s’exacerbent autour des règles. Quand elles sont rigides, comme dans les
premières familles, elles peuvent conduire à « l’inhibition ou à la
révolte de l’ado », selon Daniel Marcelli. L’ado qui a eu le droit de
tout faire risque, lui, d’être « débordé par des flots d’excitations »,
et va en chercher toujours plus, par exemple sur des sites
pornographiques. Et, dans les familles qui négocient, « la grande
difficulté, c’est que l’adolescent veut s’approprier le cadre de la
négociation. C’est aux parents de définir clairement ce cadre durant
l’enfance, dire ce qu’ils veulent bien négocier, mais pas au-delà ».
Élever
un adolescent peut mettre le couple à l’épreuve
C’est en
ne redoutant pas les conflits, de la même façon qu’on n’a pas craint de
dire « non » à un enfant, qu’on peut espérer construire une autorité qui
tienne. Mais les parents doivent aussi apprendre à trouver une
distance, pour désamorcer les petites querelles. Dans son livre
Communiquer avec les ados sans se les mettre à dos (2), Jean-Marc Louis,
inspecteur de l’éducation nationale et père de famille, conseille
l’humour. « Ce n’est pas, quand il est utilisé à bon escient, une
manière de prendre l’adolescent à la légère. Ce n’est pas non plus pour
l’adulte une façon de descendre de son piédestal au risque de perdre
quelque peu de son pouvoir. L’humour situe le propos hors du réel et
donc, dédramatise ; en même temps se crée une forme de connivence. » À
condition toutefois de ne jamais faire d’humour sur les sujets tabous, «
l’aspect physique de l’adolescent, sa réflexion ou sa vie amoureuse,
qui sont les pivots fondamentaux de sa quête d’identité ».
Reste
qu’un jeune qui bafoue systématiquement l’autorité parentale peut se
mettre en péril. Les parents qui élèvent seuls leurs enfants se sentent
particulièrement vulnérables face à ce risque, mais ils ne sont pas les
seuls. « Quand la crise d’adolescence devient familiale, quand les
disputes s’accompagnent d’injures ou de violences de part et d’autre, et
recommencent régulièrement, la situation devient inquiétante », estime
Daniel Marcelli. Dans ce cas, les parents ne doivent pas hésiter à
demander de l’aide à un médiateur, qu’il s’agisse d’un proche, d’un
membre de la famille (oncles, tantes, grands-parents parviennent souvent
à dénouer les conflits), d’un enseignant, d’un médecin ou d’un bénévole
d’association. Une médiation qui ne doit pas être subie par les parents
comme un échec de leur autorité, mais comme un coup de pouce qui les
aidera à renouer le dialogue et à reprendre la main.