Procès pour viol : Justice est faite ? suite
Les expertises
Il y a plusieurs sortes d’expertises :
les expertises médicales, pratiquées sur la victime juste après le viol ; il peut y en avoir d’autres plus tard.
les expertises psychiatriques (pour la victime et l’agresseur)
Les expertises médicales sont pratiquées si possible dans les UMJ et visent à établir par des examens, prélévements et analyses toutes traces de pénétration dans la zone des organes génitaux (lésionsvaginales et anales, sperme) et aussi les marques de violences pouvant établir la contrainte. Il sont effectués par des médecins légistes et ne sont pas contestables en cour de justice. Par contre, si une victime va voir son médecin ou un hopital non UMJ, les résultats de ces premiers examens ne seront pas pris en compte. L’ouverture d’un centre UMJ par département est en cours.
Malgré l’importance de ces preuves scientifiques du viol pour le verdict, il est arrivé néanmoins que des cas de viols où avaient été relevée la présence de lésions vaginales et anales, de spermatozoïdes dans le vagin ou dans la bouche aient été déqualifiés en agression sexuelle (voir ci-dessous déqualification).
Les expertises médicales établissent aussi s’il y a eu violence donc contrainte. Néanmoins, le CFCV a relevé un cas de viol où une femme violée dont les marques de coups avaient été constatées par les UMJ a été déclarée consentante (voir ci-dessous non-lieu).
Les expertises psychiatriques
Elles sont demandées par le juge d’instruction.
Expertises concernant la victime :
l’expertise de personnalité : toutes les informations sur l’enfance de la victime, ses relations avec ses parents, son caractère et son comportement, etc. sont recueillies. Des tendances dépressives, des problèmes (mêmes terminés depuis longtemps) de toxicomanie ou d’instabilité psychologique peuvent être retenus contre elle, pour décrédibiliser sa parole, mettre en évidence une part de responsabilité dans le viol et dégager celle de l’agresseur.Lors d’un colloque sur le viol organisé par le CFCV à l’Ecole nationale de la magistrature, un avocat a fait observer que lors de certains procès de viol, il a "le sentiment gênant que le procès devient celui de la victime"
l’expertise psychologique était à l’origine destinée à évaluer l’étendue des traumas psychologiques provoqués par le viol pour fixer d’éventuels dommages et intérêts mais elle est devenue une expertise de crédibilité : l’évaluation psychologique faite par le psychiatre vise à établir si la victime est mythomane, affabulatrice, si elle a tendance à inventer ou déformer les faits. Le viol est le seul crime pour lequel une
expertise de crédibilité est imposée à la victime. Certains arguent du fait que c’est parce qu’il y a deux versions contradictoires des faits en présence qu’une telle expertise est requise ; mais alors, pourquoi ne concernerait-elle qu’une seule des parties concernées ? Par ailleurs, un juge participant au colloque cité ci-dessus souligne que lorsqu’un juge doit juger des affaires de bagarre, où pourtant plusieurs versions contradictoires des faits sont données par les participants, aucune expertise de crédibilité n’est requise.
Non seulement cette pratique ne tient aucun compte du coût social d’une accusation de viol pour celle qui s’y risque, et donc de la faible probabilité des fausses allégations mais elle est aussi discriminatoire et sexiste : "l’expert, en acceptant de vérifier la "mythomanie" ou la "nymphomanie" de la victime, cautionne le mythe de la femme provocatrice qui porte plainte sans raison, ou plus exactement pour salir l’honneur d’un honnête homme"
Par ailleurs, cette expertise est critiquée-et certains experts psys refusent de s’y prêter--parce qu’ils considèrent qu’un expert médical n’est en rien qualifié pour former un jugement sur la crédibilité d’un individu. Un psychiatre n’a pas reçu de formation "en crédibilité", cette spécialisation n’est enseignée dans aucune faculté et n’est pas une science, tout au plus basée sur quelques méthodes aléatoires et empiriques . L’évaluation de la crédibilité des déclarations de toute personne impliquée dans un procès relève normalement du juge dans le cadre de l’instruction ; il ne devrait pas en être différemment dans le cas d’une affaire de viol-toujours "crime à part"..
Daniel-Welzer Lang relève que ces expertises débordent le cadre psychiatrique strict et "comportent souvent un jugement moral" sur la victime .
A noter que si une victime se refuse à ces expertises et contre-expertises, qui peuvent être nombreuses et de ce fait perçues comme une forme de harcèlement, l’affaire risque d’être classée sans suite.
Expertises concernant l’agresseur
L’agresseur n’est soumis qu’a une seule expertise, l’expertise de personnalité. On ne lui demandera pas de subir une expertise de crédibilité : on peut trouver étrange que la parole de l’agresseur ne soit pas mise en doute alors que celle de la victime l’est systématiquement et que la justice semble adopter le postulat que ce sont les agresseurs qui disent la vérité et les victimes qui mentent. L’expertise vise à établir la responsabilité pénale de l’accusé (s’il est sain d’esprit et ne présente pas de troubles mentaux) et s’il était responsable au moment de l’agression. Tous ces éléments sont utilisés à décharge par l’avocat de la défense : une enfance difficile, des problèmes avec sa mère, l’alcoolisme d’un des parents, un niveau d’études bas ou des abus sexuels étant enfant vont être utilisés pour diminuer sa responsabilité ou l’excuser. Il faut noter que dans le suivi des cas de viols du TGI (tribunal de grande instance) de Créteil effectué par S. Iff et M.C. Brachet, seulement 1 des agresseurs sur 15 a eu une enfance difficile (14). Cette méthode de défense utilisée par des avocats de la défense présente en outre l’inconvénient d’empêcher le violeur de jamais réaliser la gravité de son crime et donc le pousse à la récidive au lieu de l’inciter à changer son attitude envers les femmes.
On note des cas ou le refus de l’agresseur de se soumettre à l’expertise de personnalité a abouti... à un non-lieu !
Non seulement l’expertise de crédibilité n’est demandée qu’à la victime mais les résultats des expertises qu’elles doit subir risquent d’être utilisées contre elle alors que l’unique expertise concernant l’agresseur fournira des arguments à l’avocat de la défense pour trouver des circonstances atténuantes ou excuser son client..
Sans suite, non lieu : les poubelles de la justice
Une plainte qui aboutit à un "sans suite" n’arrive jamais en justice, elle est abandonnée faute de preuves suffisantes ; cette décision est prise par le Procureur.
Il est possible que l’agresseur n’ait pas été retrouvé ou que l’identification soit impossible mais il se peut aussi que les poursuites soient déclarées "inopportunes" pour des raisons parfois surprenantes :
(N°60) des jeunes gens-2 filles, 2 garçons--passent une soirée arrosée+joints. Une des filles perd connaissance, lorsqu’elle se réveille, elle ressent de fortes douleurs anales et en parle à sa mère. Plainte est déposée pour viol et la police l’emmène aux UMJ=constat de fissure anale récente, ecchymoses, égratignures. La jeune fille donne les noms des deux jeunes gens, la police les retrouve et ils avouent la sodomisation mais-l’ivresse excuse-t’elle le viol ?-l’"inopportunités des poursuites" est affirmée.
(N°61) Une femme violée appelle des amis au secours : son ex-amant, fonctionnaire de police, qui n’accepte pas la rupture, s’est rendu coupable de cette agression. Elle est conduite aux UMJ. L’avocat de l’agresseur la présente comme dépressive et instable : "les éléments du dossier ne justifient pas de poursuites pénales".
Lorsqu’une affaire se termine par un non-lieu, cette décision prise par le juge d’instruction signifie qu’il n’y pas de raisons suffisantes de traduire l’agresseur en justice. Cela peut résulter de l’insuffisances des déclaration de la victime, du consentement de la victime considéré comme établi, que l’accusé soit disculpé, etc. mais les justifications de cette décision posent parfois problème :
(N°50) Une femme de 34 ans de très bon milieu vivant chez ses parents mais toxicomane. Elle dépose une plainte pour vol et viol contre 3 hommes récidivistes (vol et violences). Les agresseurs reconnaissent les faits mais la déclarent consentante et évoquent un chantage sexuel (pour la fourniture de drogue ?). L’examen UMJ relève néanmoins des traces de coups et de sperme. Le parquet juge "la réalité des faits non établie, pas de charges suffisantes, pas d’identification des auteurs ou complices".
Déqualifications : pourquoi ?
Un viol peut être déqualifié en agression sexuelle si l’acte de pénétration tel que précisé par le texte de loi ne peut être imputé à l’accusé. Le chef d’accusation devient alors agression sexuelle et l’affaire ne relève plus de la Cour d’assises mais du Tribunal correctionnel. Cependant, la victime de viol peut être incitée à aller en correctionnelle pour des raisons telles que "la durée des procès est plus longue aux Assises" (en fait, 26 mois 1/2 aux Assises et 26 en correctionnelle en moyenne), ou "les jurys d’assises sont plus indulgents que les juges du tribunal correctionnel"-ce qui ne semble pas exact, la condamnation moyenne pour viol étant de 6 ans aux Assises contre 1 an 9 mois en correctionnelle. La raison pour laquelle les victimes sont ainsi incitées à choisir la correctionnelle est, semble-t’il, la lourdeur de la procédure et l’encombrement des tribunaux.
Le CFCV relève aussi des cas où, bien que la matérialité du viol soit médicalement établie, l’affaire est déqualifiée en agression sexuelle :
(N°27) Femme de 58 ans agressée par 3 individus (déjà condamnés pour vol, violences et séquestration)qui sous la menace d’une arme l’ont emmenée dans un camion, forcée à leur faire une fellation et volé son sac. Emmenée à l’hopital, un examen révèle des traces de sperme dans la bouche. Le juge ne reconnaît pas la fellation comme viol. 24, 18 et 18 mois ferme.
(N°29) Une femme de 30 ans est agressée sexuellement par un ex-amant qui entre chez elle par effraction et contre qui elle a déposé une main-courante pour violences. Il lui met une fourchette dans le vagin, une cuillère dans l’anus. La femme s’évanouit, elle est hospitalisée avec 15 jours d’ITT (incapacité totale de travail). L’agresseur reconnait les faits. Le juge évoque "une liaison orageuse entre un homme et une femme"-curieuse idée de la passion amoureuse qui se manifesterait par l’insertion de couverts dans le vagin ! Déqualification en "délit de violence ayant entraîné une ITT et attentat à la pudeur commis avec violence, contrainte et surprise".30 mois ferme, 20 avec sursis.
Les condamnations
1 viol sur 4 aboutit à une condamnation ; il y a un écart considérable entre les peines prévues par la loi et les peines prononcées : 6 ans environ pour viol en Assises contre 15 prévus par la loi. Ceci est encore plus marqué pour les viols sur majeurs pour lesquels les peines prononcées sont 3 fois inférieures à celles prévues par la loi.
Conseils pratiques
ne pas faire sa toilette après un viol
garder tous les vêtements, objets, etc pouvant être utilisés comme preuve
déposer une plainte le plus rapidement possible
prendre un(e) avocat(e) féministe et spécialisée dans ce genre d’affaires. Ne pas assurer sa défense soi-même.
se porter partie civile
ne pas refuser les expertises
Conclusion
Ce texte met en évidence le fait que, dans notre société, le viol est encore un crime "à part", pour de multiples raisons : alors que 100% des vols de voitures sont reportés à la police, seule une minorité de viols font l’objet d’une plainte : le viol, c’est "le monde du silence" ."L’écart très grand qui existe entre le nombre de viols et de plaintes, et au-delà, entre le nombre de plaintes déposées et le nombre de condamnations finalement prononcées, (...) est largement supérieur à celui existant dans l’instruction et le jugement des autres crimes" . Et donc "les violeurs sont, "parmi les criminels, ceux qui jouissent de la plus grande impunité" . La relative sévérité qui frappe certains viols-sur mineurs par ascendants par exemple-fait place, pour le plus grand nombre d’entre eux, à une sous-application ou non-application de la loi qui ne peut être expliquée que par un phénomène de tolérance tacite de ce crime (à noter que sous l’Ancien Régime, seuls les viols sur mineurs étaient effectivement punis ; encore un préjugé résiduel ?)
Patricia Romito parle de "complicité sociale" dans une société où "les femmes qui se plaignaient de viols n’étaient pas crues, les femmes battues qui voulaient dénoncer leur partenaire étaient découragées de le faire par des policiers, les agresseurs étaient facilement acquittés" .
Nous espérons l’avoir mis en évidence : il ne va pas de soi, pour une victime de viol, d’obtenir réparation en justice ; il n’est donc pas étonnant, vu toutes les difficultés du processus et les insuffisances du système, que seule une minorité de femmes décide de prendre le risque. Pourtant, en plus d’une indemnisation financière éventuelle, un procès où justice serait vraiment rendue pourrait aider une victime de viol à retrouver son intégrité psychologique parce qu’il lui permettrait de se libérer de la culpabilité que la société a injustement placée sur ses épaules et remettrait celle-ci à sa juste place, sur celles du coupable. Néanmoins, nombre de victimes, craignant à juste titre de subir d’autres "agressions" au cours de la procédure pour un résultat hypothétique, renoncent à faire valoir leurs droits et choisissent de se reconstruire par d’autres moyens.
Certes, comme nous l’avons souligné, les lois existantes sont encore empreintes de sexisme mais si elles étaient seulement pleinement appliquées dans leur état actuel, les victimes de viol auraient plus souvent recours à la justice.