Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A PROPOS DES FEMMES
Archives
30 mars 2010

Procès pour viol : Justice est faite ? suite

Les expertises

Il y a plusieurs sortes d’expertises : 

-  les expertises médicales, pratiquées sur la victime juste après le  viol ; il peut y en avoir d’autres plus tard. 

-  les expertises psychiatriques (pour la victime et l’agresseur)

Les expertises médicales sont pratiquées si possible dans les UMJ et  visent à établir par des examens, prélévements et analyses toutes  traces de pénétration dans la zone des organes génitaux  (lésionsvaginales et anales, sperme) et aussi les marques de  violences pouvant établir la contrainte. Il sont effectués par des  médecins légistes et ne sont pas contestables en cour de justice. Par  contre, si une victime va voir son médecin ou un hopital non UMJ, les  résultats de ces premiers examens ne seront pas pris en compte.  L’ouverture d’un centre UMJ par département est en cours.

Malgré l’importance de ces preuves scientifiques du viol pour le  verdict, il est arrivé néanmoins que des cas de viols où avaient été  relevée la présence de lésions vaginales et anales, de spermatozoïdes  dans le vagin ou dans la bouche aient été déqualifiés en agression  sexuelle (voir ci-dessous déqualification).

Les expertises médicales établissent aussi s’il y a eu violence donc  contrainte. Néanmoins, le CFCV a relevé un cas de viol où une femme  violée dont les marques de coups avaient été constatées par les UMJ a  été déclarée consentante (voir ci-dessous non-lieu).

Les expertises psychiatriques

Elles sont demandées par le juge d’instruction.

Expertises concernant la victime : 

-  l’expertise de personnalité : toutes les informations sur l’enfance  de la victime, ses relations avec ses parents, son caractère et son  comportement, etc. sont recueillies. Des tendances dépressives, des  problèmes (mêmes terminés depuis longtemps) de toxicomanie ou  d’instabilité psychologique peuvent être retenus contre elle, pour  décrédibiliser sa parole, mettre en évidence une part de  responsabilité dans le viol et dégager celle de l’agresseur.Lors d’un  colloque sur le viol organisé par le CFCV à l’Ecole nationale de la  magistrature, un avocat a fait observer que lors de certains procès  de viol, il a "le sentiment gênant que le procès devient celui de la  victime"   

-  l’expertise psychologique était à l’origine destinée à évaluer  l’étendue des traumas psychologiques provoqués par le viol pour fixer  d’éventuels dommages et intérêts mais elle est devenue une expertise  de crédibilité : l’évaluation psychologique faite par le psychiatre  vise à établir si la victime est mythomane, affabulatrice, si elle a  tendance à inventer ou déformer les faits. Le viol est le seul crime  pour lequel une 

-  expertise de crédibilité est imposée à la victime. Certains arguent  du fait que c’est parce qu’il y a deux versions contradictoires des  faits en présence qu’une telle expertise est requise ; mais alors,  pourquoi ne concernerait-elle qu’une seule des parties concernées ?  Par ailleurs, un juge participant au colloque cité ci-dessus souligne  que lorsqu’un juge doit juger des affaires de bagarre, où pourtant  plusieurs versions contradictoires des faits sont données par les  participants, aucune expertise de crédibilité n’est requise.

Non seulement cette pratique ne tient aucun compte du coût social  d’une accusation de viol pour celle qui s’y risque, et donc de la  faible probabilité des fausses allégations mais elle est aussi  discriminatoire et sexiste : "l’expert, en acceptant de vérifier la  "mythomanie" ou la "nymphomanie" de la victime, cautionne le mythe de  la femme provocatrice qui porte plainte sans raison, ou plus  exactement pour salir l’honneur d’un honnête homme" 

Par ailleurs, cette expertise est critiquée-et certains experts psys  refusent de s’y prêter--parce qu’ils considèrent qu’un expert médical  n’est en rien qualifié pour former un jugement sur la crédibilité  d’un individu. Un psychiatre n’a pas reçu de formation "en  crédibilité", cette spécialisation n’est enseignée dans aucune  faculté et n’est pas une science, tout au plus basée sur quelques  méthodes aléatoires et empiriques  . L’évaluation de la crédibilité des déclarations de toute personne impliquée dans un  procès relève normalement du juge dans le cadre de l’instruction ; il  ne devrait pas en être différemment dans le cas d’une affaire de viol-toujours "crime à part"..

Daniel-Welzer Lang relève que ces expertises débordent le cadre  psychiatrique strict et "comportent souvent un jugement moral" sur la  victime .

A noter que si une victime se refuse à ces expertises et  contre-expertises, qui peuvent être nombreuses et de ce fait perçues  comme une forme de harcèlement, l’affaire risque d’être classée sans  suite.

Expertises concernant l’agresseur

L’agresseur n’est soumis qu’a une seule expertise, l’expertise de  personnalité. On ne lui demandera pas de subir une expertise de  crédibilité : on peut trouver étrange que la parole de l’agresseur ne  soit pas mise en doute alors que celle de la victime l’est  systématiquement et que la justice semble adopter le postulat que ce  sont les agresseurs qui disent la vérité et les victimes qui mentent.  L’expertise vise à établir la responsabilité pénale de l’accusé (s’il  est sain d’esprit et ne présente pas de troubles mentaux) et s’il  était responsable au moment de l’agression. Tous ces éléments sont  utilisés à décharge par l’avocat de la défense : une enfance  difficile, des problèmes avec sa mère, l’alcoolisme d’un des parents,  un niveau d’études bas ou des abus sexuels étant enfant vont être  utilisés pour diminuer sa responsabilité ou l’excuser. Il faut noter  que dans le suivi des cas de viols du TGI (tribunal de grande  instance) de Créteil effectué par S. Iff et M.C. Brachet, seulement 1  des agresseurs sur 15 a eu une enfance difficile (14). Cette méthode  de défense utilisée par des avocats de la défense présente en outre  l’inconvénient d’empêcher le violeur de jamais réaliser la gravité de  son crime et donc le pousse à la récidive au lieu de l’inciter à  changer son attitude envers les femmes.

On note des cas ou le refus de l’agresseur de se soumettre à  l’expertise de personnalité a abouti... à un non-lieu !

Non seulement l’expertise de crédibilité n’est demandée qu’à la  victime mais les résultats des expertises qu’elles doit subir  risquent d’être utilisées contre elle alors que l’unique expertise  concernant l’agresseur fournira des arguments à l’avocat de la  défense pour trouver des circonstances atténuantes ou excuser son  client..

Sans suite, non lieu : les poubelles de la justice

Une plainte qui aboutit à un "sans suite" n’arrive jamais en justice,  elle est abandonnée faute de preuves suffisantes ; cette décision est  prise par le Procureur.

Il est possible que l’agresseur n’ait pas été retrouvé ou que  l’identification soit impossible mais il se peut aussi que les  poursuites soient déclarées "inopportunes" pour des raisons parfois  surprenantes :

(N°60) des jeunes gens-2 filles, 2 garçons--passent une soirée  arrosée+joints. Une des filles perd connaissance, lorsqu’elle se  réveille, elle ressent de fortes douleurs anales et en parle à sa  mère. Plainte est déposée pour viol et la police l’emmène aux  UMJ=constat de fissure anale récente, ecchymoses, égratignures. La  jeune fille donne les noms des deux jeunes gens, la police les  retrouve et ils avouent la sodomisation mais-l’ivresse excuse-t’elle  le viol ?-l’"inopportunités des poursuites" est affirmée.

(N°61) Une femme violée appelle des amis au secours : son ex-amant,  fonctionnaire de police, qui n’accepte pas la rupture, s’est rendu  coupable de cette agression. Elle est conduite aux UMJ. L’avocat de  l’agresseur la présente comme dépressive et instable : "les éléments  du dossier ne justifient pas de poursuites pénales".

Lorsqu’une affaire se termine par un non-lieu, cette décision prise  par le juge d’instruction signifie qu’il n’y pas de raisons  suffisantes de traduire l’agresseur en justice. Cela peut résulter de  l’insuffisances des déclaration de la victime, du consentement de la  victime considéré comme établi, que l’accusé soit disculpé, etc. mais  les justifications de cette décision posent parfois problème :

(N°50) Une femme de 34 ans de très bon milieu vivant chez ses parents  mais toxicomane. Elle dépose une plainte pour vol et viol contre 3  hommes récidivistes (vol et violences). Les agresseurs reconnaissent  les faits mais la déclarent consentante et évoquent un chantage  sexuel (pour la fourniture de drogue ?). L’examen UMJ relève néanmoins  des traces de coups et de sperme. Le parquet juge "la réalité des  faits non établie, pas de charges suffisantes, pas d’identification  des auteurs ou complices".

Déqualifications : pourquoi ?

Un viol peut être déqualifié en agression sexuelle si l’acte de  pénétration tel que précisé par le texte de loi ne peut être imputé à  l’accusé. Le chef d’accusation devient alors agression sexuelle et  l’affaire ne relève plus de la Cour d’assises mais du Tribunal  correctionnel. Cependant, la victime de viol peut être incitée à  aller en correctionnelle pour des raisons telles que "la durée des  procès est plus longue aux Assises" (en fait, 26 mois 1/2 aux Assises  et 26 en correctionnelle en moyenne), ou "les jurys d’assises sont  plus indulgents que les juges du tribunal correctionnel"-ce qui ne  semble pas exact, la condamnation moyenne pour viol étant de 6 ans  aux Assises contre 1 an 9 mois en correctionnelle. La raison pour  laquelle les victimes sont ainsi incitées à choisir la correctionnelle est, semble-t’il, la lourdeur de la procédure et l’encombrement des tribunaux.

Le CFCV relève aussi des cas où, bien que la matérialité du viol soit  médicalement établie, l’affaire est déqualifiée en agression sexuelle :

(N°27) Femme de 58 ans agressée par 3 individus (déjà condamnés pour  vol, violences et séquestration)qui sous la menace d’une arme l’ont  emmenée dans un camion, forcée à leur faire une fellation et volé son  sac. Emmenée à l’hopital, un examen révèle des traces de sperme dans  la bouche. Le juge ne reconnaît pas la fellation comme viol. 24, 18  et 18 mois ferme.

(N°29) Une femme de 30 ans est agressée sexuellement par un ex-amant  qui entre chez elle par effraction et contre qui elle a déposé une  main-courante pour violences. Il lui met une fourchette dans le  vagin, une cuillère dans l’anus. La femme s’évanouit, elle est  hospitalisée avec 15 jours d’ITT (incapacité totale de travail).  L’agresseur reconnait les faits. Le juge évoque "une liaison orageuse  entre un homme et une femme"-curieuse idée de la passion amoureuse  qui se manifesterait par l’insertion de couverts dans le vagin !  Déqualification en "délit de violence ayant entraîné une ITT et  attentat à la pudeur commis avec violence, contrainte et surprise".30  mois ferme, 20 avec sursis.

Les condamnations

1 viol sur 4 aboutit à une condamnation ; il y a un écart considérable  entre les peines prévues par la loi et les peines prononcées : 6 ans  environ pour viol en Assises contre 15 prévus par la loi. Ceci est  encore plus marqué pour les viols sur majeurs pour lesquels les  peines prononcées sont 3 fois inférieures à celles prévues par la loi.

Conseils pratiques

-  ne pas faire sa toilette après un viol 

-  garder tous les vêtements, objets, etc pouvant être utilisés comme preuve 

-  déposer une plainte le plus rapidement possible 

-  prendre un(e) avocat(e) féministe et spécialisée dans ce genre  d’affaires. Ne pas assurer sa défense soi-même. 

-  se porter partie civile 

-  ne pas refuser les expertises

Conclusion

Ce texte met en évidence le fait que, dans notre société, le viol est  encore un crime "à part", pour de multiples raisons : alors que 100%  des vols de voitures sont reportés à la police, seule une minorité de  viols font l’objet d’une plainte : le viol, c’est "le monde du  silence" ."L’écart très grand qui existe entre le nombre de viols  et de plaintes, et au-delà, entre le nombre de plaintes déposées et  le nombre de condamnations finalement prononcées, (...) est largement  supérieur à celui existant dans l’instruction et le jugement des  autres crimes" . Et donc "les violeurs sont, "parmi les  criminels, ceux qui jouissent de la plus grande impunité" . La   relative sévérité qui frappe certains viols-sur mineurs par ascendants par exemple-fait place, pour le plus grand nombre d’entre eux, à une sous-application ou non-application de la loi qui ne peut être expliquée que par un phénomène de tolérance tacite de ce crime  (à noter que sous l’Ancien Régime, seuls les viols sur mineurs  étaient effectivement punis ; encore un préjugé résiduel ?)

Patricia Romito parle de "complicité sociale" dans une société où  "les femmes qui se plaignaient de viols n’étaient pas crues, les  femmes battues qui voulaient dénoncer leur partenaire étaient  découragées de le faire par des policiers, les agresseurs étaient  facilement acquittés" .

Nous espérons l’avoir mis en évidence : il ne va pas de soi, pour une  victime de viol, d’obtenir réparation en justice ; il n’est donc pas  étonnant, vu toutes les difficultés du processus et les insuffisances  du système, que seule une minorité de femmes décide de prendre le  risque. Pourtant, en plus d’une indemnisation financière éventuelle,  un procès où justice serait vraiment rendue pourrait aider une  victime de viol à retrouver son intégrité psychologique parce qu’il  lui permettrait de se libérer de la culpabilité que la société a  injustement placée sur ses épaules et remettrait celle-ci à sa juste  place, sur celles du coupable. Néanmoins, nombre de victimes,  craignant à juste titre de subir d’autres "agressions" au cours de la  procédure pour un résultat hypothétique, renoncent à faire valoir  leurs droits et choisissent de se reconstruire par d’autres moyens.

Certes, comme nous l’avons souligné, les lois existantes sont encore  empreintes de sexisme mais si elles étaient seulement pleinement  appliquées dans leur état actuel, les victimes de viol auraient plus  souvent recours à la justice.

Publicité
Commentaires
A PROPOS DES FEMMES
Publicité
A PROPOS DES FEMMES
Publicité