Mythes justificatifs de la violence masculine
Ce texte passe en
revue les idées reçues sur la violence masculine et sur les femmes
battues. L’ensemble de ces idées reçues et des rumeurs qui circulent
forment un tout cohérent que l’on peut qualifier de mythe. Avec un peu
d’observation, on peut y voir une espèce de tribunal. D’un côté la
défense : elle vise à expliquer que les hommes ne sont pas vraiment
coupables des violences que subissent les femmes ; de l’autre, le
procureur qui explique pourquoi les femmes sont responsables des
violences qu’elles subissent. Les mythes de la
violence Ce mythe dit : la violence est
exceptionnelle, elle est l’œuvre de fous, de monstres, d’hommes
alcooliques qui appartiennent aux milieux populaires. Ou bien
concernant les femmes violentées, que les victimes, consciemment ou
non, provoquent la violence en « cherchant » leur mari, qu’elles
l’acceptent ou aiment ça. En insistant sur les coups donnés ou subis,
le mythe ne retient que la partie émergée de l’iceberg, et permet
d’occulter le fait qu’il existe un continuum de violences (verbales,
psychologiques, économiques) qui sont aussi très destructrices et qui,
si elles accompagnent habituellement les violences physiques, peuvent
exister indépendamment d’elles et donc ne pas être reconnues comme
violences. Faire constamment des remarques blessantes ou des critiques
non fondées, couper la parole, se présenter comme celui qui sait et
détient la vérité, inférioriser l’autre, ne pas l’entendre, ne pas lui
répondre, lui dicter son comportement, ses amis, ses actions, refuser
d’exprimer ses émotions, le faire passer pour stupide ou hystérique,
l’intimider et lui faire du chantage affectif de sorte qu’il va
toujours faire ce que vous voulez pour éviter une explosion, vérifier
toutes ses dépenses, etc etc ; tous ces comportements utilisés
systématiquement sont des formes de violence. Le mythe n’explique pas,
ou peu, les conditions sociales dans lesquelles survient la violence
domestique ; en fait, il est construit pour occulter les causes
sociales et culturelles de la violence. Pour cela, il insiste sur les
explications psychologiques individuelles et fait de chaque cas un cas
particulier. Le mythe sert aussi à nier l’ampleur du phénomène et, en
ne proposant que de fausses explications à ce problème, il empêche que
l’on s’attaque à ses causes réelles et que les hommes et les femmes
concernées puissent vraiment changer. Mais il sert aussi à rassurer
puisque, en faisant le portrait robot de l’homme violent (alcoolique,
déséquilibré, socialement marginal ou défavorisé, etc.) et de la femme
battue (masochiste, passive, peu éduquée etc.), il nous permet de
penser : « la violence, c’est exceptionnel et c’est les autres ; je ne
suis pas concerné(e) ». On aurait pu intituler ce texte « liste des
trucs disponibles sur le marché de la déresponsabilisation » tant il
est vrai que l’ensemble des éléments du mythe, l’ensemble des arguments
de la défense ou du procureur, déresponsabilisent les principaux
responsables : les hommes violents. Les données à partir desquelles ce
texte est établi sont le fruit de plusieurs années de recherches et
d’écoute d’hommes violents et de femmes violentées effectuées par le
sociologue Daniel Welzer-Lang. Ces constats empiriques sont corroborés
par l’ensemble des chercheurs/ses qui se sont penché(e)s sur la
question . LA PLAIDOIRIE DE LA
DEFENSE L’homme violent provient
de milieux populaires, modestes ou défavorisés Les témoignages prouvent que cette
affirmation est fausse. On trouve des hommes violents dans tous les
milieux, sans qu’il soit possible de déterminer d’après nos
connaissances actuelles, si certains milieux sont plus touchés que
d’autres. L’hypothèse la plus vraisemblable est que les violences
subies par une femme sont proportionnelles à son degré de soumission
économique et/ou culturelle à son mari ou compagnon ; ce n’est pas une
spécificité liée à un groupe social particulier. Attention aussi à la
façon dont les témoignages sont recueillis : dans un département du
centre de la France, pour effectuer une enquête visant à déterminer qui
sont les femmes battues (et non les hommes violents), on s’est adressé
aux services sociaux pour qu’ils compilent leurs données sur la
question. Ces statistiques étaient donc établies uniquement à partir
des femmes ayant eu recours à des assistantes sociales, ce qui exclut
de fait les femmes de certains milieux sociaux. D’après les recherches
de Daniel Welzer-Lang, le point commun à tous les hommes violents...
c’est qu’ils sont des hommes ! Il a rencontré des hommes violents chez
les ouvriers, les cadres sups, les médecins, les professeurs
d’universités, les techniciens, les enseignants, les gens de droite et
de gauche, les écologistes, et même les « non-violents ». Ce que disent les gens qui prétendent
désigner les milieux les plus touchés, c’est que la violence, c’est
toujours chez les autres. En fait, sur la base de l’Enquête sur les
violences faites aux femmes réalisée pour le Secrétariat au droits des
femmes, une femme sur 10 révèle être victime de violences conjugales au
moment de l’enquête ; vous avez donc certainement dans votre entourage
des hommes violents et des femmes battues . L’homme violent est un
alcoolique L’association violence/alcool est un
leitmotiv ; elle est parfois inventée et utilisée en Cour d’assises
comme circonstance atténuante. En fait, les témoignages montrent que
l’association systématique violence/alcoolisme ne tient pas : beaucoup
d’hommes ne boivent pas et ne sont pas sous l’influence de l’alcool
quand ils frappent ; d’autres expliquent qu’ils boivent pour se donner
le courage de frapper. Les statistiques sur les centres pour hommes
violents sont variables. En tout cas, on peut dire qu’un pourcentage
important d’hommes violents ne sont pas alcooliques, donc l’alcool ne
peut pas être en soi la cause des violences. Par contre, on peut dire que le fait
qu’un homme boive pour se donner le courage d’exprimer ses sentiments
et se remonter le moral et croie avoir le droit de frapper ses proches
sont deux comportements également liés à une adhésion consciente ou
inconsciente aux stéréotypes masculins : la croyance que la virilité
est associée à l’alcool et le fait que la force se manifeste par la
violence envers ceux qui sont moins forts. Vouloir expliquer la violence par
l’alcoolisme rassure : il suffirait alors de supprimer l’alcool pour
rendre l’homme non-violent. Dans les faits, cela ne marche pas comme
ça : des hommes ayant subi une cure de désintoxication continuent leurs
violences. Par ailleurs, l’explication de la violence par l’alcool
permet à certains hommes violents de se présenter comme
irresponsables : « lorsque je tape, ce n’est pas moi qui agit, c’est
l’alcool ! » Mais ces hommes savent qu’ils vont
frapper s’ils boivent ; ils choisissent de boire pour se libérer des
blocages qui les empêchent de frapper. Le problème fondamental n’est
pas l’alcool, c’est le fait qu’ils s’autorisent à frapper leurs
proches. A noter que les violences masculines sont présentes dans des
cultures où l’alcool est inconnu ou très peu répandu. L’homme violent est un
fou/un monstre Rappelons que, sur la base du nombre de
femmes qui ont été concernées par la violence masculine au moins une
fois au cours de leur vie, il y a environ 2 millions d’hommes violents
en France . Peut-on dire pour autant qu’il y ait 2 millions d’hommes
fous ou monstrueux ? La plupart des hommes violents ne sont ni malades
mentaux ni monstrueux ; certains hommes sont fous et violents mais
beaucoup de fous ne sont pas violents. D’où vient cette association entre folie
et violence ? Tout d’abord, une certaine presse de caniveau fait ses
choux-gras de la publication d’articles sur des histoires de violence
et de sexe ; ces journaux font fréquemment leur page de couverture sur
des tueurs d’enfants ou de femmes (avec des photos d’hommes ayant l’air
de malades mentaux mais qui, ayant passé 48 heures en garde à vue,
n’aurait pas un air inquiétant ?). Ces journaux créent une association
homme violent = assassin et/ou fou. Bien que 400 femmes par an
périssent sous les coups de leur compagnon en France, la vaste majorité
des auteurs de violences domestiques ne sont pas des meurtriers La deuxième raison de cette association
est le rôle joué par les psys dans la compréhension judiciaire et
sociale de la violence. A qui fait-on appel pour parler des hommes
violents au tribunal ? A des psys. Qui convoque-t-on dans la presse ou à
la télé pour donner une explication autorisée de ces comportements ?
Des psys. Que la personne accusée ou concernée soit vraiment déclarée
malade mentale ou pas, ce que le grand public retient, c’est que la
violence concerne les psys.. Donc qu’elle réfère plus ou moins
directement à la folie. Personne ne conteste l’utilité des
psys ; ce qui est contestable, c’est l’ambition des approches psy
d’expliquer l’ensemble du social à travers la seule lunette du cas
individuel. Or quand un cas individuel est multiplié par 2 millions,
c’est un problème social. Dans le cas des hommes violents, on fait
souvent appel aux psys pour confirmer de leur science les
représentations sociales qui nous rassurent : la violence est
exceptionnelle ; elle ne nous concerne pas, car nous ne sommes ni des
fous ni des monstres. L’association violence-folie est fausse et
déresponsabilise les hommes violents. L’homme qui bat sa femme sait
bien qu’il n’est ni fou ni monstre ; de plus, en dehors de sa famille,
il est considéré généralement comme bon père-bon époux-bon collègue. Ne
coïncidant pas avec l’image stéréotypique de l’homme violent, il ne
pourra pas prendre conscience de son problème et n’envisagera pas de
suivre une rééducation. Ce ne sont pas des explications
psychologiques individuelles qui expliquent la violence des hommes mais
bel et bien des raisons sociales, notamment les privilèges
qu’apportent le pouvoir et le contrôle exercés sur ses proches. C’est
un contresens de considérer la violence masculine envers les femmes
comme une exception individuelle : il s’agit d’une norme culturelle
répandue autrefois dans nombre de cultures et encore acceptée
maintenant dans certaines : rappelons que des religions reconnaissent
expressément aux maris le droit de battre leur femmes indociles ,
que les juristes français du 18ème siècle reconnaissaient ce même droit
aux maris dans le même cas et que ce droit fondamental du mari sur la
femme est encore inscrit dans le droit civil de certains pays . L’homme violent : un
individu de caractère emporté qui succombe à des poussées de colère et
perd facilement son contrôle. Certains des hommes qui battent leur
femme peuvent être plus coléreux que d’autres mais il est à remarquer
qu’ils choisissent d’extérioriser leur colère par la violence seulement
avec leur femmes et/ou leurs enfants, c’est-à-dire sur ceux sur qui
ils pensent avoir autorité. Daniel Welzer-Lang cite le cas d’un homme
violent qui se plaignait du stress et de la frustration qu’il subissait
au travail et de la colère qu’il en éprouvait. DWL : « Et vous frappez aussi, au
travail, quand vous vous mettez en colère ? » Victor D. « Ben non, là-bas, ça serait
le conseil de discipline direct ; ça rigole pas. » L’homme violent n’est pas un homme qui
perd son contrôle, c’est un homme qui veut garder le contrôle... sur
ses proches. Les hommes violents rendent souvent compte de leurs
épisodes de violence en ces termes ; « je voulais lui faire
comprendre.. ; je voulais remettre les pendules à l’heure.. ;je voulais
qu’elle se rende compte...je voulais la faire plier ». Il ne
supportent pas la contradiction, toute remise en cause ou essai de
partage du pouvoir masculin, toute revendication d’autonomie aussi
légère qu’elle soit, se transforme pour l’homme en provocation à la
violence. .L’homme violent, par la violence, rappelle qui a le pouvoir.
L’homme violent a une
double personnalité : c’est un Dr. Jeckyll et Mr. Hyde. En dehors des périodes de violence,
c’est un homme gentil, un père attentif... donc il a une double
personnalité, pensent certains femmes de leurs maris violents. Non, en
général, les hommes violents n’ont pas une double personnalité : ce
sont des hommes qui cherchent à contrôler leur entourage et ils peuvent
utiliser différents moyens pour exercer ce contrôle : les cadeaux, les
promesses, l’attention prodiguée, la manipulation et la flatterie sont
d’autres façons de subjuguer leurs proches et de les garder en
dépendance. Alterner les coups et les caresses, la gentillesse et la
dureté est une technique de contrôle psychologique éprouvée. Par
ailleurs, les spécialistes des hommes violents reconnaissent que
ceux-ci (et leurs femmes) traversent des phases successives apparemment
très différentes qui cependant, sont toutes parties intégrantes du
cycle de la violence : 1) Le quotidien du couple avec stress,
tensions et contrôle débouche sur 2) les violences qui sont suivies de
3) culpabilité, excuses et promesses de s’amender, qui produisent une
période de 4) lune de miel suivie de retour au quotidien du 1) etc. L’homme violent : un
ex-enfant battu ? Certains des hommes violents accueillis
dans des centres rapportent avoir subi des violences dans l’enfance ;
d’autres non. Le fait d’avoir vu son père frapper sa mère ou d’avoir
été frappé soi-même peut créer la notion qu’il est normal d’utiliser la
violence quand on est le plus fort. Mais elle produit aussi l’effet
inverse ; certains enfants maltraités réagissent par un rejet de la
violence, en particulier dans leur vie familiale. L’ACTE D’ACCUSATION
Ce sont les femmes qui
apprennent la violence aux hommes Cet argument prend différentes formes :
tout d’abord, ce sont les mères qui tolèrent la violence chez leurs
enfants mâles, ou qui par les claques ou les fessées, leur enseignent
la violence. Haro sur les mères ! Oubliés le rôle du père dans
l’éducation de l’enfant (ou son abandon), le conditionnement à la
virilité qui commence dans la cour de récréation, continue à l’armée et
sur les terrains de sport. Si un enfant tourne mal, c’est la faute de
la mère, c’est bien connu. Le plus grave est que cet argument est
fréquemment repris par les alliées inconscientes du machisme, ces
femmes qui veulent toujours jouer à la maman ou à l’assistante sociale
avec les hommes. Ce sont les femmes qui
provoquent la violence Pour le commun des mortels, il y a des
femmes pénibles, des mégères hargneuses qui « cherchent les coups ».
Ces propos décrivent souvent des femmes aigries par des années de
tyrannie conjugale et d’abus divers ; ces femmes ont pris l’habitude de
lutter contre la tyrannie domestique en criant ou en « faisant la
gueule ». Une réflexion du type « tu as oublié de sortir la poubelle »
ou un repas servi en retard seront considérés par les maris qui
arrivent à la maison pour mettre les pieds sous la table comme une
provocation à la violence. Dire d’une femme qu’elle cherche les coups,
c’est lui reprocher de ne pas avoir intégré les rapports
dominant-dominé et/ou de refuser de s’y soumettre, de ne pas avoir
accepté le fait que toute contrariété peut déclencher la violence
masculine et de refuser d’abdiquer toute expression d’autonomie ou de
volonté personnelle. A noter que toutes choses et son contraire peuvent
déclencher les coups du mari violent : si elle ne veut pas faire
l’amour quand il le souhaite ou si elle lui demande d’exprimer son
affection à contre-temps, si elle parle quand il veut le silence ou si
elle se tait quand il veut parler, si elle ne s’occupe pas assez de lui
ou trop, etc. Elles aiment ça Quel que soit le procureur qui énonce
cette sentence, on est frappé par le ton particulier de la voix
utilisé : il insinue, il fait appel à de vieux souvenirs, à une
solidarité/connaissance concernant tous les hommes. Elles aiment quoi, les femmes ? Et
chacun de sourire, le sous-entendu est bien évidemment sexuel. Cet
énoncé est insidieux et péremptoire. Insidieux, car ils sous-entend que
la dénonciation des violences domestiques est fausse et sans objet.
Plus encore, que les femmes qui protestent contre les violences sont
soit des menteuses soit des femmes qui ne connaissent pas la vraie
sexualité épanouie où violence domestique, violences sexuelles et
sexualité forte sont mêlées. On n’est pas loin des accusations de « mal
baisées » lancées contre les féministes des années 70. Cette affirmation est péremptoire car
elle laisse supposer que l’homme sait mieux que les femmes ce qui est
bon pour elles, quels que soient leurs propos ou leurs dénégations.
C’est la même chose pour le viol : l’homme, le vrai, sait ce qui est
bon pour ses proches, il sait ce que veulent les femmes. Quitte à les
forcer pour le leur faire découvrir. Quand le procureur dit « elles
aiment ça », il s’adresse aux hommes. Il leur dit : n’écoutez pas ce
qu’elles disent, surtout si elles disent non. Nous, les vrais hommes,
quand nous les battons (ou violons) , nous révélons aux femmes leur
vraie nature de femme. » C’est un argument de dominant qui parle aux
autres dominants en niant la véracité de la parole des femmes. Il y a aussi des hommes
battus Il y en a très peu, et les violences
dont ils sont l’objet sont souvent la contre-attaque de femmes excédées
par les brutalités subies. La violence est sexué - masculine - et elle
est essentiellement à sens unique dans le couple : de l’homme vers la
femme. Vouloir symétriser hommes battus et femmes battues correspond à
une volonté de nier la nature masculine de la violence domestique.
C’est celui qui a le pouvoir qui exerce la violence. Ce triste tribunal social s’efforce de
déresponsabiliser les hommes violents, de leur trouver des excuses ou
des raisons individuelles qui justifient leurs violences, et ce sont
les femmes qui se retrouvent au banc des accusées. La fonction de ce
mythe est d’abord un rôle d’occultation de la domination masculine,
véritable cause de la violences des hommes. Tout se passe comme si l’on
voulait bien défendre l’enfant ou la femme mais sans jamais remettre
en cause le système de domination masculine et en protégeant
prioritairement les hommes.